COMMISSION POUR LES RELATIONS RELIGIEUSES AVEC LE JUDAÏSME
ORIENTATIONS ET SUGGESTIONS
POUR L’APPLICATION DE LA DÉCLARATION CONCILIAIRE
«NOSTRA AETATE» (N. 4)
TEXTE DE PRÉSENTATION
Publié sous la signature du Cardinal J. Willebrands, en tant que Président de la nouvelle Commission pour les Relations religieuses de l’Église catholique avec le Judaïsme, instituée par Paul VI le 22 octobre dernier, le Document paraît peu de temps après le IXème anniversaire de la promulgation de «Nostra Aetate», Déclaration du Concile Vatican II sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes.
Les «orientations et suggestions», qui se réfèrent au n. 4 de la Déclaration susdite, sont caractérisées par leur nature presque exclusivement pratique et par leur sobriété.
Le caractère pratique voulu pour le texte trouve sa justification dans le fait qu’il s’agit d’un document d’application.
Celui-ci ne propose donc pas une théologie chrétienne du Judaïsme, qui offrirait certainement de l’intérêt pour la recherche et la réflexion des spécialistes, mais demanderait encore de longues études. La nouvelle Commission pour les Relations avec le Judaïsme devrait pouvoir jouer un rôle dans la maturation de cet effort.
Lepréambule du Document rappelle les principaux enseignements du Concile au sujet de la condamnation de l’antisémitisme et des discriminations de toute sorte, comme le devoir de compréhension mutuelle et d’estime réciproque renouvelée, et il souhaite une meilleure connaissance, de la part des chrétiens, de la substance de la tradition religieuse du Judaïsme et de la façon dont les Juifs eux-mêmes se définissent.
Le texte propose donc tout un ensemble de suggestions concrètes:
La partie consacrée audialogue invite au dialogue fraternel et à la promotion d’une recherche doctrinale approfondie. La prière en commun est elle aussi proposée comme moyen de rencontre.
En ce qui concerne laliturgie, on rappelle les liens existant entre la liturgie chrétienne et la liturgie juive, comme l’attention qu’il convient de porter aux commentaires des textes bibliques, de même qu’aux explications et traductions liturgiques.
La partie relative à l’enseignement et à l’éducation donne l’occasion de préciser les rapports entre les deux Alliances, de faire allusion à la question du procès de la mort de Jésus, et d’insister sur l’attente qui caractérise la religion juive en même temps que la religion chrétienne. Les spécialistes sont invités à un sérieux travail de recherche, et l’on encourage, là où cela s’avère possible, l’institution de chaires d’études juives et la collaboration avec les experts juifs.
La dernière partie traite de la possibilité d’une action sociale commune, dans la perspective d’une recherche de la justice sociale et de la paix.
La conclusion aborde, entre autres, l’aspect œcuménique du problème des rapports avec le Judaïsme, les initiatives des Églises locales en ce domaine, et les grandes lignes de la mission de la nouvelle Commission instituée par le Saint-Siège.
On relèvera la grande sobriété du texte également au niveau des suggestions concrètes qu’il propose. Mais ce serait certainement une erreur d’interpréter cette sobriété du Document dans le sens d’un programme limitatif d’activités. Certes, le Document propose, pour certains secteurs clefs, des suggestions limitées, mais il est destiné à l’Église universelle, et comme tel il ne peut prendre en considération toutes les situations particulières. Les suggestions proposées sont destinées à donner des idées à ceux qui se demanderaient comment inaugurer au plan local ce dialogue que le texte invite à commencer ou à développer. Ces suggestions sont mentionnées pour leur valeur exemplaire. Elles sont explicitées parce qu’il a semblé qu’elles pouvaient trouver une large application et que leur proposition constituait en même temps un programme pouvant aider les Églises locales à organiser leurs propres activités, afin de les harmoniser avec le mouvement général de l’Église universelle en dialogue avec le Judaïsme.
Le Document peut être considéré, d’un certain point de vue, comme la «Charte initiale» de la Commission pour les Relations religieuses avec le Judaïsme. Il reviendra donc à cette Commission nouvelle de préparer et de proposer, s’il en est besoin, les développements ultérieurs qui sembleraient nécessaires afin que l’initiative conciliaire en cet important domaine continue à porter ses fruits, sur le plan local comme sur le plan mondial, au bénéfice de la paix des cœurs et de la concorde des esprits de tous les hommes qui œuvrent sous la protection de l’Unique Tout-Puissant.
En invitant à un effort de compréhension et de collaboration réciproques, la publication du Document coïncide avec l’ouverture de l’Année Sainte consacrée au thème de la réconciliation. Il est impossible de ne pas apercevoir dans une telle coïncidence une invitation à étudier et à mettre effectivement en application, dans le monde entier, les suggestions qu’il propose, de même qu’on ne peut s’empêcher de souhaiter que les frères juifs y trouvent eux aussi d’utiles indications pour leur participation à un effort commun.
* * *
PREAMBULE
Datée du 28 octobre 1965, la Déclaration Nostra Aetate du IIème Concile du Vatican, «sur les relations de l’Église avec les religions non-chrétiennes» (n. 4), représente un tournant important dans l’histoire des rapports entre juifs et catholiques.
L’initiative conciliaire s’est d’ailleurs inscrite dans une conjoncture profondément modifiée par le souvenir des persécutions et des massacres de juifs qui se sont déroulés en Europe juste avant et pendant la seconde guerre mondiale.
Bien que le christianisme soit né dans le judaïsme et qu’il en ait reçu certains éléments essentiels de sa foi et de son culte, le fossé s’est creusé de plus en plus au point d’en arriver presque à une méconnaissance de part et d’autre.
Après deux millénaires, marqués trop souvent par une ignorance mutuelle et de fréquents affrontements, la Déclaration Nostra Aetate donnait l’occasion d’engager ou de poursuivre un dialogue visant à une meilleure connaissance réciproque. Durant les neuf années écoulées, de nombreuses initiatives ont été prises en divers pays. Elles ont permis de mieux discerner les conditions dans lesquelles peuvent s’élaborer et se développer de nouvelles relations entre juifs et chrétiens. Le moment semble venu de proposer, selon les orientations du Concile, quelques suggestions concrètes, fruits de l’expérience, en espérant qu’elles aideront à réaliser dans la vie de l’Église les intentions exposées par le document conciliaire.
Tout en renvoyant à ce document, rappelons simplement ici que les liens spirituels et les relations historiques rattachant l’Église au judaïsme condamnent comme opposé à l’esprit même du christianisme toute forme d’antisémitisme et de discrimination que la dignité de la personne humaine, à elle seule, suffit d’ailleurs à condamner. Bien mieux, ces liens et relations imposent le devoir d’une meilleure compréhension réciproque et d’une estime mutuelle renouvelée. De façon positive, il importe donc, en particulier, que les chrétiens cherchent à mieux connaître les composantes fondamentales de la tradition religieuse du judaïsme et qu’ils apprennent par quels traits essentiels les juifs se définissent eux-mêmes dans leur réalité religieuse vécue.
Dans la ligne de telles considérations de principe, nous proposons simplement quelques premières applications pratiques en divers domaines essentiels de la vie de l’Église, en vue d’inaugurer ou de développer de façon saine les relations entre les catholiques et leurs frères juifs.
I
Dialogue
En vérité, les relations entre juifs et chrétiens, quand il y en avait, n’ont, en général, guère dépassé le monologue: il importe d’établir désormais un vrai dialogue.
Le dialogue suppose le désir de se connaître mutuellement et de développer et approfondir cette connaissance. Il constitue un moyen privilégié pour favoriser une meilleure connaissance mutuelle et, particulièrement dans le cas du dialogue entre juifs et chrétiens, pour approfondir les richesses de sa tradition propre. La condition du dialogue est le respect de l’autre tel qu’il est, de sa foi surtout et de ses convictions religieuses.
En vertu de sa mission divine, l’Église par nature doit annoncer Jésus-Christ au monde (Ad Gentes, 2). Pour éviter que ce témoignage rendu à Jésus Christ n’apparaisse aux juifs comme une agression, les catholiques auront le souci de vivre et d’annoncer leur foi dans le plus rigoureux respect de la liberté religieuse telle qu’elle a été enseignée par le IIèm Concile du Vatican (Déclaration Dignitatis Humanae). Ils s’efforceront également de comprendre les difficultés que l’âme juive, justement imprégnée d’une très haute et très pure notion de la transcendance divine, éprouve devant le mystère du Verbe incarné.
S’il est vrai que dans un tel domaine il règne encore un climat de suspicion assez répandu, motivé par un passé déplorable, les chrétiens, de leur côté, sauront reconnaître leur part de responsabilité et en tirer les conséquences pratiques pour l’avenir.
Outre les entretiens fraternels, on encouragera aussi la rencontre de personnes compétentes, en vue d’étudier les multiples problèmes liés aux convictions fondamentales du judaïsme et du christianisme. Une grande ouverture d’esprit, la défiance à l’égard de ses propres préjugés, le tact, sont des qualités indispensables pour ne point blesser, même involontairement, ses interlocuteurs.
Dans les circonstances où cela sera possible et mutuellement souhaitable, on pourra favoriser une rencontre commune devant Dieu, dans la prière et la méditation silencieuse, si efficace pour faire naître cette humilité, cette ouverture d’esprit et de coeur, nécessaires pour la connaissance profonde de soi-même et des autres. On le fera en particulier à propos de grandes causes comme celles de la justice et de la paix.
II
Liturgie
On se souviendra des liens qui existent entre la liturgie chrétienne et la liturgie juive. La communauté de vie dans le service de Dieu et de l’humanité pour l’amour de Dieu, tel qu’il se réalise dans la liturgie, caractérise la liturgie juive comme la chrétienne. Pour les relations judéo-chrétiennes, il importe de prendre connaissance des éléments communs de la vie liturgique (formules, fêtes, rites, etc.) où la Bible tient une place essentielle.
On s’efforcera de mieux comprendre ce qui, dans l’Ancien Testament, garde une valeur propre et perpétuelle (cf. Dei Verbum, 14-15), celle-ci n’étant pas oblitérée par l’interprétation ultérieure du Nouveau Testament qui lui donne sa signification plénière, alors qu’il y trouve réciproquement lumière et explication (cf. ibid., 16). Cela est d’autant plus important que la réforme liturgique met les chrétiens de plus en plus fréquemment en contact avec les textes de l’Ancien Testament.
Dans le commentaire des textes bibliques, sans minimiser les éléments originaux du christianisme, on mettra en lumière la continuité de notre foi avec celle de l’Alliance ancienne, dans la ligne des promesses. Nous croyons que celles-ci ont été accomplies lors du premier avènement du Christ, il n’en est pas moins vrai que nous sommes encore dans l’attente de leur parfait achèvement lors de son retour glorieux à la fin des temps.
En ce qui concerne les lectures liturgiques, on prendra soin d’en donner, dans l’homélie, une interprétation juste, surtout quand il s’agit d’e passages qui semblent placer le peuple juif en tant que tel sous un jour défavorable. On s’efforcera d’instruire le peuple chrétien de telle façon qu’il arrive à comprendre tous les textes dans leur véritable sens et dans leur signification pour le croyant d’aujourd’hui.
Les commissions chargées de traductions liturgiques seront particulièrement attentives à la façon de rendre les expressions et les passages qui peuvent être entendus de façon tendancieuse par des chrétiens insuffisamment informés. Il est bien évident que l’on ne peut changer le texte biblique, tout en ayant le souci, dans une version destinée à l’usage liturgique, de rendre explicite la signification d’un texte,1 en tenant compte des études des exégètes.
Les remarques qui précèdent s’appliquent aussi aux introductions aux lectures bibliques, ainsi qu’à l’Oratio fidelium et aux commentaires insérés dans les missels des fidèles.
III
Enseignement et éducation
Bien qu’il reste encore un vaste travail à accomplir, on est arrivé, dans les années qui viennent de s’écouler, à une meilleure compréhension du judaïsme en lui-même et dans sa relation au christianisme, grâce aux enseignements de l’Église, aux études et aux recherches de savants, ainsi qu’au dialogue qui a pu s’instaurer.
A cet égard les faits suivants méritent d’être rappelés:
– C’est le même Dieu «inspirateur et auteur des livres des deux Testaments» (Dei Verbum, 16) qui parle dans l’ancienne et la nouvelle Alliance.
– Le judaïsme du temps du Christ et des apôtres était une réalité complexe, englobant un monde de tendances, de valeurs spirituelles, religieuses, sociales et culturelles.
– Ancien Testament et la tradition juivie fondée sur celui-ci ne doivent pas être opposés au Nouveau Testament de telle façon qu’ils semblent n’offrir qu’une religion de la justice seule, de la crainte et du légalisme, sans appel à l’amour de Dieu et du prochain (cf. Deut, 6, 5; Lév. 19, 18; Matt. 22, 34-40).
– Jésus, tout comme ses apôtres et un grand nombre des premiers disciples, est né du peuple juif. Lui-même, en se révélant comme Messie et Fils de Dieu (cf. Matt. 16, 16), porteur d’un nouveau message, celui de l’Evangile, s’est présenté comme accomplissant et parachevant la Révélation antérieure. Et, bien que l’enseignement du Christ ait un caractère de profonde nouveauté, il ne s’appuie pas moins, à maintes reprises, sur l’enseignement de l’Ancien Testament. Le Nouveau Testament est profondément marqué par sa relation à l’Ancien. Comme l’a déclaré le IIème Concile du Vatican: «Dieu, inspirateur et auteur des livres des deux Testaments, s’y est pris si sagement que le Nouveau Testament était caché dans l’Ancien, et que l’Ancien devenait clair dans le Nouveau» (Dei Verbum, 16). En outre, Jésus fait usage de méthodes d’enseignement analogues à celles des rabbis de son temps.
– En ce qui concerne le procès et la mort de Jésus, le Concile a rappelé que «ce qui a été commis durant la passion ne peut être imputé ni indistinctement à tous les juifs vivant alors, ni aux juifs de notre temps» (Nostra Aetate, 4).
– L’histoire du judaïsme ne finit pas avec la destruction de Jérusalem, mais elle s’est poursuivie en développant une tradition religieuse dont la portée, devenue, croyons-nous, d’une signification profondément différente après le Christ, demeure cependant riche de valeurs religieuses.
– Avec les prophètes et l’apôtre Paul, «l’Église attend le jour, connu de Dieu seul, où tous les peuples invoqueront le Seigneur d’une seule voix et “le serviront sous un même joug” (Soph 3, 9)» (Nostra Aetate, 4).
L’information au sujet de ces questions concerne tous les niveaux d’enseignement et d’éducation du chrétien. Parmi les moyens d’information, ceux qui suivent ont une importance particulière:
– manuels de catéchèse;
– livres d’histoire;
– moyens de communication sociale (presse, radio, cinéma, télévision).
L’usage efficace de ces moyens présuppose une formation approfondie des enseignants et des éducateurs, dans les écoles normales, les séminaires et les universités.
On stimulera la recherche des spécialistes sur les problèmes touchant le judaïsme et les relations judéo-chrétiennes, spécialement dans le domaine de l’exégèse, de la théologie, de l’histoire et de la sociologie. Les instituts supérieurs de recherche catholiques, si possible en liaison avec d’autres instituts chrétiens analogues, ainsi que les spécialistes, sont invités à apporter leur contribution à la solution de tels problèmes. Là où la chose est possible, on créera des chaires d’études juives, et l’on encouragera la collaboration avec les savants juifs.
IV
Action sociale et commune
La tradition juive et chrétienne, fondée sur la Parole de Dieu, est consciente de la valeur de la personne humaine, image de Dieu. L’amour d’un même Dieu doit se traduire dans une action effective en faveur des hommes. Dans l’esprit des prophètes, juifs et chrétiens collaboreront volontiers dans la poursuite de la justice sociale et de la paix, au niveau local, national et international.
Cette action commune peut également favoriser grandement une connaissance et une estime réciproques.
Conclusion
Le IIème Concile du Vatican a indiqué la voie à suivre dans la promotion d’une fraternité profonde entre juifs et chrétiens. Mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.
Le problème des rapports entre juifs et chrétiens concerne l’église en tant que telle, puisque c’est en « scrutant son propre mystère » qu’elle est affrontée au mystère d’Israël. Il garde donc toute son importance, même dans les régions où il n’existe pas de communauté juive.
Ce problème a également un aspect œcuménique: le retour des chrétiens aux sources et aux origines de leur foi, entée sur l’ancienne Alliance, contribue à la recherche de l’unité dans le Christ, pierre angulaire.
Dans ce domaine, les évêques sauront prendre, dans le cadre de la discipline générale de l’Église et de l’enseignement communément professé par son magistère, les initiatives pastorales opportunes. Ils créeront, par exemple, au niveau national et régional, des commissions ou secrétariats appropriés, ou nommeront une personne compétente chargée de promouvoir la mise en œuvre des directives conciliaires et des suggestions proposées ici.
Au plan de l’Église universelle, le Saint-Père a institué, en date du 22 octobre 1974, la Commission pour les relations religieuses avec le judaïsme, rattachée au Secrétariat pour l’Unité des Chrétiens. Créé en vue de promouvoir et de stimuler les rapports religieux entre juifs et catholiques, en collaboration éventuelle avec d’autres chrétiens, cette commission spéciale se tient, dans les limites de sa compétence, à la disposition de tous les organismes intéressés, pour les informer et les aider à poursuivre leur tâche en conformité avec les directives du Saint-Siège; elle désire développer cette collaboration pour la mise en œuvre effective et juste des orientations du Concile.
Donné à Rome, le 1er décembre 1974.
Jean Card. Willebrands
Président de la Commission
Pierre-Marie de Contenson, O. P.
Secrétaire de la Commission
1 C’est ainsi que la formule «les juifs», dans saint Jean, désigne parfois, suivant les contextes, «les chefs des juifs», ou «les adversaires de Jésus», expressions qui expriment mieux la pensée de l’évangéliste et évitent de paraître mettre en cause le peuple juif comme tel. Un autre exemple est l’usage des mots «pharisien» et «pharisaïsme» qui ont acquis une nuance surtout péjorative.