« Dabru emet » (« Dites la vérité »)

 cf. Zacharie 8,16

DÉCLARATION JUIVE SUR LES CHRÉTIENS ET LE CHRISTIANISME

Signée par plus de 170 personnalités juives, cette déclaration a été publiée aux Etats-Unis le 10 septembre 2000 sous forme d’une page publicitaire complète dans le « New York Times » ainsi que dans « The Sun » à Baltimore.

« Nous croyons qu’il est temps pour les Juifs d’être au courant des efforts que font les Chrétiens pour rendre honneur au Judaïsme et de réfléchir à ce que le Judaïsme peut dire du Christianisme à présent. (…)  Juifs et Chrétiens doivent œuvrer ensemble pour la justice et la paix. »

Cette déclaration n’a certes pas de caractère officiel, mais elle revêt une signification importante pour le développement des relations entre juifs et chrétiens et, comme le dit le Père Jean Dujardin, dans son ouvrage « L’Eglise catholique et le peuple juif. Un autre regard » (page 480) : « Elle peut être considérée comme l’expression d’une pensée juive assez fréquemment partagée aujourd’hui »

 En voici le texte complet :

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« Ces dernières années, s’est produit un changement spectaculaire et sans précédent dans les relations entre Juifs et Chrétiens. Durant les quelque deux millénaires d’exil juif, les Chrétiens ont eu tendance à définir le Judaïsme comme une religion défaillante ou, au mieux, une religion qui a préparé la voie au Christianisme et trouve en  lui son accomplissement. Cependant, dans les décennies qui ont suivi l’Holocauste, le Christianisme a changé de manière spectaculaire. Un nombre croissant d’instances officielles de l’Église, tant catholiques que protestantes, ont exprimé publiquement leur remords pour le tort que les chrétiens ont causé aux Juifs et au Judaïsme. Ces déclarations ont affirmé, en outre, que la prédication et l’enseignement chrétiens peuvent et doivent être réformés en sorte qu’ils reconnaissent l’alliance éternelle de Dieu avec le peuple juif et rendent hommage à la contribution du Judaïsme à la civilisation mondiale et à la foi chrétienne elle-même.

Nous croyons que ces changements méritent une réponse juive approfondie. Parlant uniquement en notre nom propre, en tant que groupe intercommunautaire de savants juifs, nous croyons qu’il est temps pour les Juifs d’être au courant des efforts que font les Chrétiens pour rendre honneur au Judaïsme. Nous croyons qu’il est temps pour les Juifs de réfléchir à ce que le Judaïsme peut dire du Christianisme à présent. A titre de premier pas, nous présentons huit brèves propositions concernant la manière dont Juifs et Chrétiens peuvent être en relation les uns avec les autres.

[1] Juifs et Chrétiens adorent le même Dieu. Avant la montée du Christianisme, les Juifs étaient les seuls adorateurs du Dieu d’Israël. Mais les Chrétiens adorent, eux aussi, le Dieu d’Abraham, d’Isaac, et de Jacob, créateur du ciel et de la terre. Bien que le culte chrétien ne soit pas un choix religieux viable pour les Juifs, nous nous réjouissons en tant que théologiens juifs, de ce que, par l’intermédiaire du Christianisme, des centaines de millions de gens sont entrés en relation avec le Dieu d’Israël.

[2] Juifs et Chrétiens s’en remettent à l’autorité du même livre, la Bible (que les Juifs appellent « TaNaKh » et les Chrétiens, « Ancien Testament »). Nous référant à elle pour notre orientation religieuse, notre enrichissement spirituel, et notre éducation communautaire, chacun de nous en dégage des leçons similaires : Dieu a créé et soutient l’univers; Dieu a établi une alliance avec le peuple d’Israël, la parole de Dieu révélée guide Israël vers une vie d’intégrité; et, en fin de compte, Dieu rachètera Israël et le monde entier. Cependant, Juifs et Chrétiens interprètent la Bible de manière différente sur bien des points. Des différences de cette nature doivent toujours être respectées.

[3] Les Chrétiens peuvent respecter le droit des juifs à la terre d’Israël. L’événement le plus important pour les Juifs depuis l’Holocauste a été le rétablissement d’un Etat juif dans la Terre promise. En tant que membres d’une religion basée sur la Bible, les Chrétiens apprécient que [la terre d’]Israël ait été promise – et donnée – aux Juifs comme le centre physique de l’alliance entre eux et Dieu. Beaucoup de Chrétiens soutiennent l’État d’Israël pour des raisons beaucoup plus profondes que purement politiques. En tant que Juifs, nous applaudissons à ce soutien. Nous reconnaissons aussi que la tradition juive exige la justice pour tous les non-Juifs qui résident dans un Etat juif.

[4] Juifs et Chrétiens acceptent les principes moraux de la Torah. La sainteté inaliénable et la dignité de chaque être humain sont au centre des principes moraux de la Torah. Nous avons tous été créés à l’image de Dieu. Cet accent mis sur ce qui nous est commun peut être la base d’une amélioration des rapports entre nos deux communautés. Ce peut être aussi la base d’un puissant témoignage face au monde entier, pour que s’améliore la vie de nos compagnons d’humanité et pour que soient combattues l’immoralité et l’idolâtrie, qui nous nuisent et nous dégradent. Un tel témoignage est nécessaire, surtout après les horreurs sans précédent du siècle passé.

[5] Le nazisme n’était pas un phénomène chrétien. [Toutefois], sans la longue histoire de violence et d’antijudaïsme chrétiens contre les Juifs, l’idéologie nazie n’aurait pu prendre de l’influence ni parvenir à ses fins. Trop de chrétiens ont participé aux atrocités nazies contre les Juifs, ou les ont approuvées. D’autres n’ont pas suffisamment protesté contre elles. Mais le nazisme n’était pas la conséquence obligée du Christianisme. Si l’extermination nazie des Juifs avait été entièrement couronnée de succès, elle aurait tourné plus directement sa rage meurtrière contre les Chrétiens. Nous exprimons notre reconnaissance envers ceux des Chrétiens qui ont risqué ou sacrifié leur vie pour sauver des Juifs sous le régime nazi. Ayant cela présent à l’esprit, nous encourageons à la poursuite des efforts récents de la théologie chrétienne, pour répudier sans équivoque le mépris du Judaïsme et du peuple juif. Nous félicitons les Chrétiens qui repoussent cet enseignement du mépris, et nous ne leur reprochons pas les fautes commises par leurs ancêtres.

[6] La différence humainement inconciliable entre Juifs et Chrétiens ne sera pas abolie jusqu’à ce que Dieu ait racheté le monde entier, comme promis dans l’Ecriture sainte. Les Chrétiens connaissent et servent Dieu par l’intermédiaire de Jésus Christ et de la tradition chrétienne. Les Juifs connaissent et servent Dieu par l’intermédiaire de la Torah et de la tradition juive. Cette différence ne sera pas abolie par une communauté qui soutiendrait avoir interprété l’Ecriture sainte plus correctement que l’autre, ni par l’exercice du pouvoir politique de l’une sur l’autre. Les Juifs peuvent respecter la fidélité des Chrétiens à leur révélation, exactement de la même manière que nous attendons des Chrétiens qu’ils respectent notre fidélité à notre révélation. Ni le Juif ni le Chrétien ne doivent être poussés à confirmer l’enseignement de l’autre communauté.

  [7] Une nouvelle relation entre Juifs et Chrétiens n’affaiblira pas la pratique juive. L’amélioration de cette relation n’accélérera pas l’assimilation culturelle et religieuse que craignent les Juifs, à juste titre. Elle ne changera pas les formes traditionnelles du culte rendu à Dieu par les Juifs ; elle n’accroîtra pas le nombre des mariages mixtes entre Juifs et non-Juifs, ni n’incitera davantage de Juifs à se convertir au Christianisme, ni ne donnera lieu à un syncrétisme religieux pernicieux entre Judaïsme et Christianisme. Nous respectons le Christianisme en tant que confession de foi issue du Judaïsme et ayant encore des points de contact importants avec lui. Nous ne le voyons pas comme une extension du Judaïsme. Ce n’est qu’en aimant nos propres traditions que nous pouvons poursuivre cette relation en toute loyauté.

[8] Juifs et Chrétiens doivent œuvrer ensemble pour la justice et pour la paix. Juifs et Chrétiens, chacun à leur manière, reconnaissent l’état de non-Rédemption du monde, qu’illustre la persistance de la persécution, de la pauvreté, de la déchéance et de la misère humaines. Bien que la justice et la paix soient finalement l’œuvre de Dieu, nos efforts, conjugués à ceux d’autres communautés de foi, aideront à l’instauration du royaume de Dieu dans lequel nous espérons et que nous désirons ardemment. Séparément et ensemble, nous devons travailler à apporter justice et paix à notre monde. Dans cette entreprise, nous sommes guidés par la vision des prophètes d’Israël : « Il arrivera, à la fin des jours, que la montagne de la maison du Seigneur s’élèvera au-dessus des collines. Alors de nombreuses nations afflueront vers elle […] en disant : « Venez, montons à la montagne du SEIGNEUR, à la maison du Dieu de Jacob, qu’il nous enseigne ses voies et que nous suivions ses sentiers. » ». (Isaïe 2, 2-3) ».

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